LA FRANCISATION : UN PROJET DE SOCIÉTÉ

Imaginons autour de la même table l’école (représentée par la direction et quelques membres du personnel débordant d’enthousiasme), la communauté (mettant en vedette un conseil d’administration trépidant de joie devant un nouveau défi) et le foyer (incluant papa, maman et leurs 1.8 enfants ayant-droit).

École : Nous, on a besoin de votre appui pour assurer la réussite scolaire et identitaire de tous ces enfants qui éprouvent de la difficulté à s’exprimer en français.

Foyer : À la maison, c’est en français que ça se passe mais on ne sait plus où donner de la tête pour assurer une vie en français à l’extérieur du foyer et de l’école.

Communauté : Ce ne sont pas les idées qui manquent mais c’est toujours difficile de rejoindre tout le monde et de s’assurer que les activités qu’on organise sont rentables.

En chœur : Ahhhh! Si on avait don’ un centre scolaire-communautaire!

Ça vous est familier? Si votre communauté est dotée d’un tel centre, c’est qu’un petit scénario semblable s’est déjà déroulé entre quelques personnes actives dans votre milieu. Sinon, il doit bien y avoir quelqu’un quelque part qui y rêve.

Le centre scolaire-communautaire est en effet un merveilleux concept. C’est tout d’abord un lieu physique, une présence matérielle, un pignon sur rue quoi! Même si ce n’était que ça, ce serait déjà beaucoup. Si en plus on lui donne vie, ça peut-être un outil de développement formidable et sans aucun doute un appui considérable à un programme de francisation complet.

Qu’il s’agisse d’un centre scolaire-communautaire ou de toute autre forme d’organisation, la clef de la réussite d’un projet socio-éducatif qui vise l’épanouissement de la langue et de la culture française réside cependant dans les efforts concertés du trio foyer-école-communauté, ce fameux partenariat dont on parle tant.

Une grande partie de ma carrière s’est déroulée dans l’école française. Si on semble toujours lui attribuer un rôle prépondérant, c’est surtout parce qu’elle est souvent la seule institution physiquement présente dans chaque région où réside un nombre substantiel de francophones. C’est aussi la plus stable puisque son existence n’est pas régulièrement remise en question. Dans une certaine mesure, son rôle lui revient d’office, presque naturellement. S’il est doublé d’une vocation communautaire comme c’est souvent le cas, on parle alors d’un devoir, voire d’une obligation.

J’ai aussi eu la chance de côtoyer de près le mouvement de parents de ma région. On compte encore beaucoup sur le regroupement de parents pour faire avancer les dossiers les plus pressants en éducation. Ils sont les grands titulaires du droit à l’éducation en français et c’est à eux qu’on doit la gestion scolaire. Les progrès récents et à venir dans le secteur préscolaire leur sont aussi attribuables.

Finalement, j’ai siégé de nombreuses années dans diverses associations communautaires. Dans le but de donner un souffle de vie francophone à notre milieu, j’ai fait partie d’un de ces fameux conseils d’administration qui vote sur les états financiers après sa journée de travail, vend des billets d’admission en soirée et démonte le décor d’une troupe itinérante avant d’aller se coucher.

Sans vous raconter ma vie, je peux affirmer sans l’ombre d’un doute que je n’ai jamais vu autant de bonne volonté chez chacun de ces groupes pour apporter sa contribution.

Mais comment travailler vraiment ensemble à un projet social comme celui de la francisation? J’ai beau tourner la question dans tous les sens, j’en arrive toujours à la même conclusion. Le succès réside dans notre habileté à faire en sorte que notre jeunesse s’engage dans une francophonie vibrante et naturellement tournée vers l’avenir. De là à en faire l’objectif principal de tout regroupement qui oeuvre pour l’épanouissement de la francophonie, il n’y a qu’un pas.

Un élément de réponse m’est venu de mes deux adolescentes qui s’étaient miraculeusement réveillées tôt par un beau dimanche de printemps. Surpris, je leur demandai ce qui valait la peine d’interrompre leur hibernation. Non moins surprises, elles me regardèrent comme si c’est moi qui agissais de façon étrange :

Ben, c’est la cabane à sucre communautaire. On y va depuis qu’on est bébé, la gang y va, on est quand même pas pour manquer ça.
Elles venaient de toucher à un point sensible du développement communautaire et de l’ancrage de nos jeunes à leur francophonie : la tradition. La tradition -entendons-nous -au sens moderne où on se donne des références culturelles bien de notre temps. Qui ne souvient pas des événements qui ont ponctué leur enfance? La plupart d’entre nous pourraient décrire assez fidèlement toutes les activités qui revenaient de façon cyclique : la Rentrée scolaire, l’Halloween, Noël bien entendu mais aussi les petits rituels du souper en famille le dimanche soir, le nettoyage de la cour d’école au printemps et les films du mercredi soir à la salle paroissiale dont la bobine s’emmêlait immanquablement.

Que ce soit au sein de la famille, de l’école ou de la communauté, il faut penser à la portée des activités qui sont proposées aux jeunes. Ce qui plaît à ma génération ne plaît pas nécessairement à celle de mes enfants. Cependant, l’attrait indéniable que présente les occasions de sentir qu’on fait partie d’un groupe bien particulier dont la langue française est le trait commun est une leçon à retenir pour tous ceux qui aspirent à développer des partenariats rentables sur le plan linguistique.

En mangeant mes crêpes caoutchouteuses au sirop d’érable suspect, avec des amis dont certains que je n’avais pas revus depuis la dernière cabane à sucre, je regardais courir les petits enfants parmi les tables de la cafétéria. J’observais la bande de grands adolescents qui feignait l’ennui – c’est dans leur nature, ne cherchez pas à comprendre – en se gavant de tire d’érable et les adultes qui semblaient tous heureux de se retrouver entre eux.

Soudain, les crêpes avaient meilleur goût, le goût de l’espoir. Dans le sirop, je vous le jure, je pouvais voir les générations futures modifier, transformer et adapter la cabane à sucre au goût du jour mais perpétuer ce rassemblement qui permet à chacun de se sentir privilégié, de se sentir chanceux d’être francophone.

Source : Parents.comme/nous – Le 29 juin 2006 Numéro 15